“L’ÉGLISE EST PLONGÉE DANS L’OBSCURITÉ DU VENDREDI SAINT” (5/10)
Vous parlez d’affadissement de la foi des fidèles, ce que Benoît XVI appelait un « christianisme bourgeois » ou ce que le pape François appelle la « paganisation de la vie chrétienne ». Ces chrétiens qui ne veulent plus être le sel de la Terre mais préfèrent en être le sucre, n’est-ce pas un défi encore plus grand que les hérésies d’autrefois ?
Cardinal SARAH : Cette espèce de mollesse ou d’affadissement fait partie de la culture actuelle : il faut être tolérant, respecter les gens, évoluer avec eux.
Certes, nous avons le devoir d’être compréhensif, de marcher au pas des gens, mais il faut en même temps les aider à renforcer leurs muscles. Il faut des muscles pour faire de l’alpinisme. Les mêmes qualités sont requises pour monter sur la montagne Dieu : il faut les muscles de la foi, de la volonté, de l’espérance, et de l’amour.
Il est important qu’on ne trompe pas les fidèles avec une religion molle, sans exigence, sans morale. L’Evangile est exigeant : « Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le ! Si ta main droite est une occasion de chute, coupe-la ! » Notre rôle est justement de porter le peuple à cette exigence évangélique.
Vous écrivez que « l’Occident fait l’expérience de la solitude radicale et délibérément voulue des damnés » : comment parler de Dieu à des gens qui comme vous l’écrivez, « n’éprouvent pas le besoin d’être sauvés » ?
Regardez le Christ : vous croyez que les gens qu’il avait devant lui voulaient l’écouter ? L’opposition à Dieu, à la Vérité, existe depuis toujours. En Occident, il est difficile de parler de Dieu, parce que la société émolliente du bien-être croit ne pas avoir besoin de Lui. Mais ce confort matériel ne suffit pas. Il existe un bonheur caché que les gens cherchent confusément sans le savoir.
L’Eglise doit faire découvrir à l’homme ces besoins intérieurs, ces richesses de l’âme qui le rendent pleinement homme, qui le rendent pleinement heureux. Saint Irénée dit que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » ; c’est la mission de l’Eglise de guider l’homme dans cette montée vers Dieu. Mais si les prêtres sont englués dans le matérialisme, ils ne pourront pas guider le monde vers le bonheur véritable.
La vraie réforme porte sur notre propre conversion. Si nous ne changeons pas nous-mêmes, toutes les réformes de structure seront inutiles. Laïcs, prêtres, cardinaux, nous devons tous revenir vers Dieu.
Publié dans Valeurs Actuelles
le 27/03/2019