TROIS ENTREPRISES AMÉRICAINES CONTROLENT PLUS D’UN TIERS DES TERRES AGRICOLES UKRAINIENNES (2/2)
Une réforme renforçant la corruption et la mise à l’écart des agriculteurs ukrainiens
La propriété des terres cultivables constitue un sujet à controverses en Ukraine depuis la fin de l’URSS et la dé-collectivisation des terres qui s’en est suivie. Faut-il abolir la loi qui a autorisé la vente de ces terrains donnant à des investisseurs étrangers le droit de les acheter ? En Ukraine, ce n’est pas seulement un sujet de “conversations de comptoir”, c’est une question cruciale.
Les terres agricoles en Ukraine étaient des propriétés de l’Etat à l’époque de l’Union soviétique. Les agriculteurs travaillaient dans des exploitations collectives et publiques. Suite à la création d’une Ukraine indépendante, le gouvernement a décidé de privatiser la plupart des terres agricoles. Des coupons étaient distribués aux occupants, qui leur permettaient de devenir propriétaires d’une parcelle agricole délimitée. Mais dans un contexte de récession économique, beaucoup ont revendu leurs coupons. Il s’est ainsi constitué un groupe de grands propriétaires terriens, membres d’ une nouvelle oligarchie. Tout cela avait été encouragé par le Fonds Monétaire International, juge auto-proclamé des procédures adéquates de privatisation.
En 2001, un moratoire a été décrété pour faire le bilan de ces transactions, suspendant la privatisation des terres publiques, et bloquant jusqu’à inventaire les transactions portant sur des terres privées. Ce moratoire concernerait 41 millions d’hectares de surface agricoles, soit environ 96 % des terres agricoles ukrainiennes.
Environ 10 millions d’hectares étaient à cette époque encore la propriété de l’Etat ou des communes; et 28 millions d’hectares appartenaient à des “petits et moyens propriétaires” privés au nombre de 7 millions.
Pourtant, même renouvelé régulièrement jusqu’en 2019, le moratoire n’a pas joué son rôle de stabilisation. Il a certes été régulièrement renouvelé jusqu’en 2019. Cependant, les difficultés économiques de la population ont conduit beaucoup de petits propriétaires à louer leurs terres à des opérateurs qui étaient en fait membres de l’oligarchie terrienne en voie de constitution. La concentration des terres a continué sous une fome déguisée.
Ce sujet est passionnant dans la mesure où il est bien vrai qu’une démocratie repose sur une classe moyenne nombreuse de propriétaires. Or l’Ukraine s’est, avec les années, toujours plus éloignée de cet objectif. Et, dans ce domaine comme dans tous les autres, le président Zelensky a trahi l’espoir que les électeurs avaient mis en lui.
Le candidat Volodimir Zelensky avait proposé l’organisation d’un référendum pour pouvoir remédier aux défauts du moratoire de 2005, mais il n’a pas eu lieu après qu’il avait été élu.
Pire, Zelensky a fait préparer une loi qui ouvrait largement la terre ukrainienne à des acquisitions étrangères. Pourtant, selon des sondages d’opinion 64% des participants des Ukrainiens se déclaraient contre la vente des terres aux étrangers. Par ailleurs, deux tiers des personnes sondées réclamaient l’organisation du référendum. promis par le Président.
La Verkhovna Rada, parlement ukrainien à chambre unique, a fini, en mars 2020, par voter un texte, sous la pression du Président et celle du Fond Monétaire International, le principal créditeur du pays. La nouvelle loi 552-IX a mis fin au moratoire et autorisé les particuliers à acheter jusqu’à 100 hectares de terres à partir du 1er juillet 2021.
Dans le même temps, la loi, apparemment restrictive en ce qui concernait l’acquisition de terres par des étrangers (personnes physiques ou morales) : elle permet l’acquisition de terres par des sociétés enregistrées en Ukraine; et elle n’a pas régulé le mécanisme de location des terres pour leur exploitation. C’est ainsi que les entreprises et les fonds dont nous parlons ont pu contourner la loi.
Second pays plus vaste d’Europe, la superficie totale de l’Ukraine atteint 600.000 km², dont 170 000 km² ont été acquis indirectement (prête-noms ukrainiens ou baux de longue durée) par des sociétés étrangères, en grande majorité occidentale, notamment américaines.
Zelenski et les institutions internationales ont toujours présenté cette réforme agricole comme une condition nécessaire pour attirer les investissements étrangers, permettant de « libérer » le plein potentiel des terres agricoles ukrainiennes.
Cette loi était également la condition d’obtention d’un prêt de 5 milliards de dollars accordé par le Fonds monétaire international (FMI). Mais nombreux Ukrainiens contestent la loi qui, selon eux, ne fera que renforcer la corruption (devenu un fléau dans le pays) et l’accaparement des terres par les grandes multinationales étrangères.
Le Réseau ukrainien de développement rural dénonce le fait que « la plupart des terres privatisées sont louées par de grandes exploitations commerciales agricoles…la terre ne sera même plus disponible à la vente au profit des agriculteurs indépendants ».
C’est ainsi que les investisseurs américains seraient devenus, de manière déguisée, propriétaires de terres agricoles en Ukraine. Pour rappel, avant l’adoption de cette loi, des manifestations pro-Zelenski proclamait que « la terre appartenait aux Ukrainiens » tout en stigmatisant « les Chinois et les Arabes » qui s’apprêtaient, selon les manifestants « à emporter notre terre par wagons ».
Deux ans et demi plus tard, il s’avère que ce sont des capitaux américains qui contrôlent un tiers des terres ukrainiennes – contre seulement 5% pour des capitaux chinois.