LA LOI, LA FOI ET LE PAPE FRANÇOIS
Au mois d’août, le pape François, dans une de ses audiences au Vatican, a commenté un passage du Nouveau Testament attribué à Paul. Il a exprimé à partir de ce court passage, une position courante, mais discutable au vu des Ecritures, que la loi ne peut conduire à la vie.
Des autorités juives ont aussitôt réagi en craignant une résurgence de « l’enseignement du mépris » d’avant Vatican II, qui discréditait la loi en la déclarant obsolète et remplacée par la foi chrétienne. (Théorie de la substitution). Un des rabbins constate que ce commentaire du pape laisse entendre que la Torah ne donne plus la vie et que donc la pratique religieuse juive n’aurait plus lieu d’être.
Pour apporter un éclairage objectif à ce débat sensible, et réaffirmer la position antérieure tenue par Nostra Aetate, les papes Jean Paul II et Benoît XVI, faisons appel aux textes bibliques sur lesquels elle se fonde :
Le Premier Testament affirme constamment que la pratique de la Loi assure la vie. On peut lire en Lévitique 18,5 : « Vous observerez mes lois et mes ordonnances : l’homme qui les mettra en pratique vivra par elles ». Ce verset se retrouve trois fois chez Ezekiel (Ez20,11.13.21) et chez Néhémie (Nh 9,29)
On peut aussi l’entendre, formulé de façon solennelle, dans le Deutéronome, (Dt30,15) : « Voici que je mets devant toi la vie et le bien, la mort et le mal, choisi donc la vie pour que tu vives ! »
De nombreux échos de cet appel à la vie se retrouvent dans les psaumes et dans les Proverbes (Ps 119, Pr 6,23). Siracide 45,5 va jusqu’à dire : « Par l’intermédiaire de Moïse, Dieu établit le commandement comme loi de la vie » (torat hayim).
Ce que désigne Lévitique 18,5, on peut le lire dans la littérature de sagesse « Observe mes préceptes, et tu vivras ! » (Pr7,2. « Le précepte est une lampe, l’enseignement une lumière, et les avertissements sont chemin de vie » (Pr6,23)
Qui donc est l’homme qui vivra, selon le Lévitique ? Le texte hébreu utilise le mot « adam ». Adam est l’homme de la création créé à l’image de Dieu. Dans les diverses énoncés de la loi, on trouve plutôt le mot « ish » pour dire l’homme. S’il est vrai que la loi, dans le passage relatant la révélation du Sinaï, s’adresse à Israël, l’utilisation du terme « Adam » indique que la pratique des prescriptions divines ne concerne pas seulement l’Israélite, mais tout être humain créé à l’image de Dieu comme le suggère la Genèse. Les promesses liées à l’observance de la loi ne seraient donc pas limitées au peuple choisi, mais destinées à apporter la vie à tout homme vivant en ce monde.
Quand on lit les versets 24 et 27, on constate que les habitants cananéens du pays ont transgressé les commandements et qu’en raison de cela « le pays les a vomis ». Si des cananéens sont punis pour avoir transgressé des lois adressées à Israël, c’est que ces lois sont données pour apporter la vie à tous. Si les êtres humains (adam) observent les lois, ils vivront.
Que représentent ces prescriptions dont la non observance est redoutable ? Ces lois s’appliquent à l’inceste, à l’adultère, et au sacrifice des enfants. Les cananéens ont été vomis du pays pour avoir pratiqué ces abominations. Tout homme, israélite ou non, qui respecte les lois de Dieu, vivra !
Vivre paisiblement dans le pays… Séjourner dans le pays prend une dimension grâce au code de sainteté (Lv 17-26). Vivre dans le pays n’a pas qu’un sens matériel, car il s’agit de l’habitation de Dieu et de son sanctuaire au milieu du peuple consacré. La terre fait partie de l’alliance, et elle est appelée terre de sainteté.
De ce passage du Lévitique surgit la question : le Dieu d’Israël s’adresse-t-il seulement à son peuple ou à tous les êtres humains, dans le but qu’ils vivent ? La Torah apparaît ici simultanément comme fondement de l’identité juive et comme chemin de vie pour toute l’humanité. Obéir à la loi conduit à la vie, mais Josué semble cependant quelque peu dubitatif (Jos 24) « Vous n’aurez pas la force de servir l’Eternel, car c’est un Dieu saint, un Dieu jaloux, il ne pardonnera pas vos transgressions… » Alors que le Deutéronome affirme : « Ce commandement que je te prescris aujourd’hui n’est point au-dessus de tes forces et hors de ta portée » (Dt30,11).
Qu’en est-il de l’enseignement de Jésus sur la pratique de la Torah, lui qui précise : « Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour parfaire ».
Nous lisons dans l’évangile de Luc (Lc10,25) : « Un docteur de la loi se leva et dit à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Rabbi, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Qu’est-il écrit dans la Torah ? Qu’y trouves-tu ? » Il répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et de toute ta pensée (Dt6,5), et ton prochain comme toi-même (Lv19,18) » « tu as bien répondu, lui dit Jésus. Fais cela et tu vivras ! »
On voit que Jésus reprend Lv18,5 : observer la loi mène à la vie. On retrouve ce principe dans plusieurs occurrences du Nouveau Testament. Malheureusement, la compréhension de ces positions n’est pas évidente dans les milieux chrétiens qui pensent que la vie ne provient pas de la loi, mais uniquement de la foi. Dans cette logique qui semble rejoindre celle de la déclaration du pape François, l’observance de la loi ne conduit pas à la vie mais à la mort. Comment peut-on oublier les postures très claires du premier testament, reprises par l’enseignement de Jésus dans l’évangile. Rien dans le Nouveau testament, évangiles, épîtres de Paul, ne permet de dénoncer la loi pour valoriser la foi.
Ce thème de la loi est très présent dans les lettres de Paul, surtout dans les épîtres aux Romains et aux Galates. En Romains 10,5, Paul cite explicitement Lv18,25. Il fait la différence entre cheminement des juifs et cheminement des païens. Il affirme toutefois que loi et foi ne s’excluent pas, même si les œuvres de la loi ne procurent pas automatiquement ce qu’apporte la foi. Il ne présente pas la loi et la foi comme deux approches qui s’opposent, mais comme deux démarches qui se complètent. La foi permet d’atteindre la vie promise à ceux qui pratiquent la loi.
On retrouve d’ailleurs cette vison dans le judaïsme de l’époque paulinienne. Le commentaire d’Habacuc retrouvé à Qumrân dit : « Le juste vivra par la foi » (Hb2,4) avec comme explication : « Ceci concerne tous ceux qui pratiquent la loi dans la maison de Juda : Dieu les délivrera de la maison de jugement à cause de leur labeur et de leur foi ! ». Paul connaît le passage interrogateur de Josué 24,19, constatant le difficile aboutissement des observances en raison de la fragilité humaine. Il reprend ce thème en s’impliquant lui-même : « Le commandement conduit à la vie. Mais en moi, il a conduit à la mort parce que je suis incapable de le mettre en pratique » (Romains 7,10)
Heureusement, mis à part cette déclaration contestée du pape François, aux propos malencontreux et sans doute trop raccourcis, il existe d’autres prises de position de sa part qui rappellent à l’Eglise d’aujourd’hui que, en lien avec la tradition catholique, le respect des dix commandements de la bible hébraïque reste entièrement d’actualité pour ceux et celles qui tentent d’incarner leur foi au Christ dans la vie du monde tel qu’il est.
avec l’aimable autorisation de Dreuz.info.
Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, Membre de la JRJK, Commission de dialogue judéo-catholique (conférence des évêques suisses et fédération des communautés israélites suisses).