PATRIMOINE : QUÉBEC VEUT «PROTÉGER CE QUI COMPTE VRAIMENT !»
« On ne pourra pas tout protéger », martèle le ministre de la Culture lorsqu’on l’interroge sur la protection du patrimoine. Mais alors que des bâtiments ancestraux en piètre état font régulièrement les manchettes aux quatre coins du Québec, Mathieu Lacombe reconnaît que l’on peut en faire davantage pour sauvegarder des lieux à caractère patrimonial.
« Ce qui est important, c’est de protéger ce qui compte vraiment », a-t-il résumé lundi, lors d’une entrevue dans les bureaux du Devoir. « D’un côté, je pense que c’est improductif de protéger cinq ou six lieux qui ont à peu près la même vocation et la même histoire et, de l’autre côté, d’échapper des lieux qui sont uniques et qui tombent sous le pic des démolisseurs », a-t-il par la suite précisé.
Le ministre a laissé savoir qu’il n’était pas exclu que la Loi sur le patrimoine culturel soit rouverte d’ici les quatre prochaines années pour lui donner plus de mordant, mais on ne sent pas chez lui un grand empressement à le faire. Sa prédécesseure, Nathalie Roy, avait déjà modifié la loi en avril 2021, mais sa réforme avait été jugée largement insuffisante par les oppositions et les groupes de défense du patrimoine.
Celle-ci oblige, à tout le moins, les municipalités régionales de comté (MRC) à produire pour 2026 un inventaire des bâtiments construits avant 1940 sur leur territoire. Le ministère devrait s’en servir ensuite pour déterminer ce qui a assez de valeur patrimoniale pour être formellement protégé.
Or, des MRC feraient de la résistance à l’heure actuelle, et le ministre Lacombe a tenu à les rappeler à l’ordre. « Certaines MRC traînent de la patte en ce moment, constate-t-il. Mais [d’autres] ont déjà commencé à produire leur inventaire. À la fin [en 2026], on va avoir un meilleur portrait de ce que l’on peut protéger. […] Car en ce moment, ça nous est souvent soumis à la petite semaine, on n’a pas d’inventaire complet de ce qui est sur le territoire. »
Impuissant face aux assureurs
Dans les derniers mois, plusieurs bâtiments d’envergure ont connu un sort peu enviable. Laissé à l’abandon depuis plusieurs années, le château Dubuc, à Chandler, a été complètement emporté par la mer lors du passage, cet automne en Gaspésie, de l’ouragan Fiona. À Saint-Gédéon, l’un des plus grands couvents de la Beauce est menacé de démolition, la municipalité refusant de le classer comme un immeuble patrimonial, car cela aurait trop d’implications financières pour elle.
« D’un côté, je pense que c’est improductif de protéger cinq ou six lieux qui ont à peu près la même vocation et la même histoire et, de l’autre côté, d’échapper des lieux qui sont uniques et qui tombent sous le pic des démolisseurs ». Mathieu Lacombe
Parmi les freins souvent cités à la revitalisation du patrimoine bâti :les assureurs, qui sont plus qu’hésitants à protéger des bâtiments anciens. Là-dessus, le ministre Lacombe avoue une certaine impuissance.« Les moyens du gouvernement sont assez limités, les services d’assurance étant fournis par des compagnies privées. Mais, notre rôle, c’est de démystifier certains éléments qui font peur aux assureurs », a-t-il expliqué.
Quid des espaces bleus ?
Le projet des Espaces bleus, très cher au gouvernement Legault, se veut justement un moyen d’occuper des édifices à caractère patrimonial pour lesquels on peine à trouver une fonction. À terme, un Espace bleu doit être implanté dans chacune des régions du Québec avec pour mandat de faire la promotion de la « fierté québécoise », par exemple en mettant à l’honneur des personnages marquants de la culture populaire.
Mais face au dépassement de coûts des premiers Espaces bleus annoncés, le ministre met la pédale douce sur l’implantation du réseau à travers le Québec. Chose certaine, les 17 régions administratives n’auront pas toutes leur Espace bleu en 2026, lors des prochaines élections.
« Les coûts sont préoccupants, et je suis ça de près. Je ne m’en cache pas : on va revoir l’échéancier. D’ici quatre ans, j’espère que l’on va avoir complété les Espaces bleus de Québec, de Charlevoix, de l’Abitibi et de la Gaspésie. J’espère aussi que l’on va en avoir annoncé d’autres. Mais de penser que le réseau puisse être complété en 2026, c’est juste physiquement impossible », souligne Mathieu Lacombe, sans donner d’échéancier précis.
Depuis le début, le milieu muséal observe d’un oeil inquiet la mise sur pied du réseau des Espaces bleus. On reproche au projet de faire concurrence aux musées régionaux déjà existants, eux qui se plaignent déjà de manquer de moyens.
« Les Espaces bleus ne sont pas des musées, ce sont des lieux de diffusion culturelle. Ce ne seront pas des endroits où l’on ira pour aller voir des oeuvres accrochées sur un mur. […] On veut transmettre aux gens cette connaissance des grands personnages de notre histoire qui nous rendent fiers d’être Québécois. Et cette offre-là n’existe pas actuellement partout au Québec », défend-il avec ardeur.
Marco Bélair-Cirino est correspondant parlementaire à Québec pour Le Devoir depuis janvier 2014. Il a parcouru les lieux de pouvoir avec son confrère Dave Noël, avec qui il a coécrit l’ouvrage… «Les lieux de pouvoir au Québec» (Boréal, 2019). Il a également assumé les responsabilités de président de la Tribune de la presse du parlement de Québec en pleine pandémie de COVID-19 (2020-2021). Il s’est joint à l’équipe du journal en 2008 après des études en journalisme, en relations internationales et en sciences politiques.
Étienne Paré est entré au Devoir en 2021 après avoir fait ses marques à l'Agence QMI et au Journal de Montréal, où il a couvert les faits divers et l'actualité générale entre autres. Aujourd'hui journaliste culturel, il demeure passionné par les grands débats de société, d'autant qu'il poursuit actuellement une maîtrise en science politique.