AVEC LES ÉCOLOS, LA DÉCROISSANCE PLUTÔT QUE LES CROISSANTS
À Liffré, près de Rennes, un renoncement symbolique. Le groupe agroalimentaire Le Duff jette l’éponge. Il ne construira pas la boulangerie industrielle qu’il avait en projet depuis 2017.
Le groupe Le Duff, c’est un succès de l’agroalimentaire français, près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Il avait prévu une nouvelle usine en Bretagne, sur un terrain de 20 hectares, un investissement de 250 millions d’euros et la création de 500 emplois. Il s’agissait de fabriquer, sous sa marque Bridor, des viennoiseries et du pain pour ses grands clients, hôtels haut de gamme, restaurants, dans une centaine de pays. Le Duff a fini par faire une indigestion à force d’avaler couleuvres et rebuffades. Il n’y aura pas de nouvelle usine en Bretagne.
Un gros ras-le-bol. Cela fait six ans que le groupe affronte les oppositions de quelques élus verts et des militants écolos de la région sur son projet, pourtant adoubé par le président socialiste de la région Pays de Loire, Loïk Chesnay Girard, qui fut aussi le maire de Liffré.
Il y a des zones humides sur le site, il consommera trop d’eau (eh oui, pour faire de la boulangerie, il faut de l’eau), il mange des terres agricoles… Des associations ont multiplié recours et procès. Le Duff a eu beau proposer de réimplanter des zones humides, d’amender le projet, rien n’a bougé. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre 10 ans, voire certainement davantage ! Nos concurrents à l’étranger mettent un à deux ans maximum pour obtenir les mêmes autorisations de construction », c’est ce qu’explique le patron du groupe.
C’est ahurissant. Le projet a été lancé en 2017, l’usine devait initialement ouvrir fin 2021. Toujours pas une pierre de posée. Enquêtes diverses, études variées, un temps fou. Puis multiplication des recours. Il faudra attendre dans le meilleur des cas 2026 pour que les actions en justice soient purgées. Ensuite, deux ans de construction. Ça porte le démarrage du site au plus tôt en 2028.11 ans au mieux pour une usine… On n’est tout simplement pas dans le rythme de la vie économique, surtout dans un pays qui prétend se réindustrialiser. Tout cela est délirant. Il a fallu moins de trois ans pour monter la gigafactory de batteries inaugurée hier à Douvrin dans le Pas de Calais. Preuve qu’avec une volonté politique, c’est possible !
Le projet ne se fera pas au nom de l’écologie. Argument massue et pas très honnête. Les opposants n’ont évidemment pas cherché à obtenir une amélioration du projet, notamment pour ses usages de l’eau, la préservation de la biodiversité alentour. Le but n’était pas que le projet soit acceptable, c’était qu’il capote purement et simplement.
il ne faut pas gratter beaucoup pour comprendre que le souci environnemental n’explique qu’une partie de l’opposition à la giga boulangerie. Les militants écologistes reprochent à Le Duff ce qu’il est. Sa taille, ses produits industriels, son modèle d’export. Vendre des croissants à l’international, quelle idée.
Vendre un produit français au bout du monde, ça va pas la tête. Rien ne va dans une logique décroissante. Localement, Le Duff est devenu un épouvantail commode. L’idéal quand on n’a pas envie de se creuser la tête. Un gros ennemi bien méchant, facile à identifier, c’est rassurant. Un Total Energie du croissant au beurre, un Monsanto de la baguette surgelée, un McKinsey du pain au raisin. J’exagère à peine.
Moralité, Le Duff ira cuire ses croissants ailleurs. Sans doute la conclusion la plus navrante qu’on pouvait imaginer : le projet se fera, peut-être au Portugal, ou même aux Etats Unis, avec des standards environnementaux bien inférieurs aux nôtres. Mais les opposants auront la conscience tranquille. Personne, en Bretagne ne se salira les mains en profitant des emplois, des impôts et des taxes générés par une activité aussi honteuse que la confection et l’export de pains au chocolat et baguettes viennoises industriels. Pas de ça chez nous. Une partie de nos concitoyens se satisfait que la France meure économiquement, mais heureusement guérie de son industrie.
Ses premières armes à la ''Télévision Suisse Romande'' lui ont donné le goût du chocolat, pas celui-ci de la neutralité. Passée par les rédactions financières du ''Revenu'' puis ''d’Investir'', elle collabore ensuite aux rédactions de ''Radio Classique'' puis ''d’i>Télé'' devenue ''Cnews''. A ses heures perdues, elle dessine le monde dans des carnets de croquis. Emmanuelle Ducros anime également la chronique ''Voyage en absurdie'' sur ''Europe 1'', tous les matins du lundi au jeudi. Retrouvez ses dernières chroniques ici.