La Bible hébraïque unit juifs et chrétiens, mais elle est rejetée par les musulmans comme falsifiée par leurs prédécesseurs.
l’Eglise chrétienne n’existe que greffée sur le tronc initial hébraïque, en partageant une forme d’élection, tandis que l’islam se situe clairement comme vérité a-historique.
La Bible est la base des deux religions de l’alliance, ce qui renvoie à une historicité commune. On peut constater que les écrits du nouveau testament sont élaborés à partir de matériaux entièrement issus du premier testament. De ce fait, l’Eglise chrétienne n’existe que greffée sur le tronc initial hébraïque, en partageant une forme d’élection, tandis que l’islam se situe clairement comme vérité a-historique, tel que présenté dans un livre sacralisé, compilation d’injonctions venue du ciel.
Le christianisme, fondé par des juifs, a ouvert l’alliance à des peuples prêts à reconnaître le Dieu d’Israël et à vivre de l’éthique des dix paroles. Dans l’islam, cette alliance est absente. Le seul pacte est celui d’Allah avec Adam, ce qui fait de l’islam la religion adamique par excellence. Allah ne correspond pas au Dieu sauveur de la Bible judéo-chrétienne. Pas étonnant que les 99 noms d’Allah de la tradition islamique aient « oublié » de l’appeler « al mukhalliç » (le sauveur) et « al fâdî » (le rédempteur). On comprend aussi pourquoi l’islam refuse de donner à Jésus son vrai nom « Yehoshua » : Dieu sauve…
Ceux qui complaisamment veulent nous faire croire à un « tronc commun » des trois religions sont des aveugles voulant guider des aveugles. Cela, pour minimiser la parenté entre juifs et chrétiens d’une part, et pour raccrocher artificiellement l’islam à la tradition biblique, d’autre part.
Ce n’est pas un hasard si, depuis le Concile Vatican II, c’est le même dicastère pour l’œcuménisme qui encadre à Rome les relations entre catholiques, protestants et orthodoxes (même religion chrétienne, traditions différentes) ET les relations entre chrétiens et juifs (même référence à l’alliance, traditions religieuses différentes).
Quand on sait que le terme oekumene dans le monde grec signifiait « l’assemblée universelle », on est donc bien sur un axe de critères fondamentaux semblables entre chrétiens et juifs, puisque la qehila en hébreu s’applique à « l’assemblée convoquée par le Dieu d’Israël », puis à la primitive Eglise, branche dissidente « messianique » originellement composée uniquement de membres hébraïques, avant de s’ouvrir aux nouveaux venus d’origine païenne.
Notre époque politiquement correcte joue sur les ambiguïtés, au nom d’un multiculturalisme idéalisé ; et c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de manifestations ou de rencontres entre chrétiens et musulmans, afin de laisser croire à une appartenance commune entre l’église et la mosquée totalement fictive. Ce contresens se nourrit de l’illusion encore bien répandue qu’au fond c’est du même Dieu qu’il s’agit de part et d’autre, comme si le coran n’était qu’une variante de la bible, comme si Jésus était le porte-parole d’Allah… En se donnant un air savant, les médias nous parlent des « trois monothéismes » pour entretenir l’amalgame, ou encore des « religions abrahamiques » comme si l’on parlait du même Abraham, quand ce n’est pas des « religions du Livre », expression pourtant spécifiquement islamique.
Or, la problématique des liens entre chrétiens et musulmans ne relève pas de l’œcuménisme – qui supposerait un noyau dur originel identique – mais de l’interreligieux, concept à géométrie variable et arbitraire. Ces confusions entretiennent des fausses symétries bien aléatoires. Pour en comprendre la genèse, il faut remonter aux années 60, berceau des idéologies qui ont accompagné la période de la décolonisation, de la croissance, et d’une certaine modernité. L’Eglise n’échappait pas à cette pression des événements lorsque fut convoqué le concile Vatican II par le pape Jean XXIII.
C’est dans ce climat conjoncturel, au nom d’une générosité « d’ouverture », et d’un souci volontariste d’aggiornamento, que le Concile voulait encourager les esprits à dépasser le traditionnel ecclésio-centrisme pour prendre en compte tout ce qui est vrai et bon chez les autres courants de pensée présents dans le monde (cf Lumen Gentium, 1965).
C’est dans ce contexte particulier que la rédaction de la déclaration Nostra Aetate fut laborieuse, en raison de protestations véhémentes de patriarches moyen-orientaux opposés à toute réconciliation judéo-chrétienne. Centré au départ sur une relation judéo-chrétienne enfin réactivée, le texte remanié se contentait, au bout du compte et de manière très générale, d’inviter les catholiques à accueillir comme signe de l’Esprit l’expérience religieuse des autres croyants, islam compris. Une affirmation théologique vitale se laissait donc édulcorer en invitation sentimentale facile à manipuler.
S’il rouvrait enfin la voie longtemps bloquée des relations fraternelles entre chrétiens et juifs, le Concile manquait de rigueur en laissant de ce fait s’établir la possibilité d’une symétrie ambiguë inscrivant quasiment sur le même plan le dialogue avec les musulmans. Cette manière plus sociologique que théologique de poser le problème allait engendrer des malentendus à n’en plus finir parmi les chrétiens, auxquels le Magistère ne fournissait pas l’ancrage spirituel indispensable ni les garde-fous précis pour se lancer dans une telle aventure. De plus, la théologie catholique du judaïsme encore balbutiante après 2000 ans de dérive n’offrait pas de structures de pensée reflétant suffisamment l’histoire respective des deux courants issus du même tronc hébraïque.
Heureusement, par la suite, sous le pontificat de Jean Paul II, des documents officiels vinrent rectifier en grande partie ces manques de clarté en ce qui concerne le lien vital et irréversible entre judaïsme et christianisme, mais l’élan initial de Nostra Aetate formulé de manière angélique avait quelque peu brouillé les cartes et laissé libre cours à des perspectives équivoques dans la relation au monde musulman, lui-même en pleine effervescence.
Pour ce qui touche à la question de l’islam, dans le monde catholique, le danger était bel et bien de passer d’une attitude d’ouverture et de bienveillance envers des personnes à un comportement de complaisance et de compromission avec un système doctrinal. Rappelons-nous la rencontre islamo-chrétienne de Tripoli (Lybie) en 1976, où Khadafi profita des bonnes dispositions des participants chrétiens pour appeler tout le monde à se convertir à l’islam.
Autre repère essentiel dans le débat, la rencontre d’Assise en 1986, à l’initiative du pape Jean Paul II.
Là aussi, les malentendus furent considérables et le message fut aisément brouillé. Les quelque 100 dignitaires religieux de toutes appartenances avaient répondu présents à cet appel du pape à manifester une attitude commune de dialogue respectueux dans une sorte de concert pacifique des religions. Beaucoup en déduisirent que Jean Paul II avait prié avec les musulmans, et qu’ainsi une caution chrétienne était apportée à la validité spirituelle de l’islam, religion montante. Or, le pape avait prié à côté des musulmans, chacun selon sa foi, ce qui est sensiblement différent. Aux côtés des autres traditions plus discrètes, le pape ne se voulait pas plus proche des imams sunnites du Caire que des shamans indiens du Dakota.