ÉCOUTER, ENTENDRE, COMPRENDRE
Dans la bible hébraïque, le verbe LISHMOA joue un rôle central. Ce terme revêt une importance essentielle, au plan religieux, philosophique et culturel.
Car l’écoute est une attitude porteuse de vie. Le « shema Israel » le rappelle en ponctuant les moments de la journée. Dans l’anthropologie biblique, le cœur est le centre décisionnel de la conscience humaine : l’écoute profonde bénéficie à cette mystérieuse part de l’être humain en situation dans le monde.
Cette écoute est celle de la voix de Dieu, mais aussi celle des messages de la nature et de l’histoire. Alors que les Grecs étaient persuadés que la vue est la fonction la plus importante pour l’être humain, les Israélites estimaient au contraire que c’est l’écoute. Selon le contexte, lishmoa recoupe le fait d’entendre, d’écouter et de comprendre, mais aussi d’obéir !
Un personnage attachant est le jeune Samuel, dont le nom lui-même évoque l’écoute de Dieu : « parle Seigneur, ton serviteur écoute ! » (1Sm3). Cette écoute est en effet un chemin de confiance en une réalité transcendante qui est présence bienveillante. Abraham, Moïse, David et tous les personnages inspirés de la Torah sont passés par cette écoute. Significatif également, le cas du prophète Elie, survivant en fuite, réfugié dans sa grotte du Mont Horeb : Dieu lui demande de se tenir dans la montagne afin de le rencontrer. (1R19,8) Mais Elie découvre que Dieu n’est pas dans le spectaculaire, ni tremblement de terre, ni orage, mais dans le « murmure d’un fin silence, avec une brise légère qui effleure son visage ». Elie prend conscience de cette forme de présence qui dépasse le visuel et il se voile la face en signe de reconnaissance.
L’écoute se révèle comme caractéristique de l’être vivant. Le Deutéronome insiste sur ce point dans les relations humaines. Moïse donne la clé de la justice envers le prochain : « Vous écouterez la cause de vos frères, et vous statuerez avec justice sur les affaires de chacun avec son frère ou avec l’émigré » (Dt 1,16).
Derrière ces recommandations, c’est Dieu qui demande la confiance en ses commandements : « Du ciel, Dieu t’a fait écouter sa voix pour t’éduquer » (Dt 4,36).
L’écoute est la condition pour être dans la proximité de Dieu et du prochain. Le récit de l’Exode est éclairant, le deutéronome résume la révélation au désert : « Une voix parlait et vous l’écoutiez, mais vous n’aperceviez aucune forme, il n’y avait rien d’autre que la voix ! » (Dt 4,12).
Un passage de l’Exode (20,15) renforce cette approche vécue comme expérience fondamentale au désert : « ils virent les voix… ». La formulation est volontairement paradoxale pour souligner le fait que le spirituel devient aussi tangible que le monde familier du visible. Il est naturel d’être impressionné par les phénomènes physiques visuels, mais le spirituel mérite d’être entendu et perçu, comme porteur de sens.
C’est le don de la Torah qui est révélation : quand l’Eternel descendit sur le Mont Sinaï, le Haut vint en bas, l’invisible transparut dans les limites de la nature. De même, lorsque la Bat Kol s’exprimait, la Voix se faisait entendre. « Ils virent les voix »…Tandis qu’on peut voir le réel en surface sans entendre et sans comprendre, le chemin de vérité dans l’alliance réconcilie le matériel avec le spirituel. N’y a-t-il pas en effet un risque considérable à se cantonner aux apparences, alors que ce qui est visible devrait nous conduire à entendre l’invisible ? Le judaïsme en tant que religion d’écoute et de perception fine du réel a apporté sa contribution à la civilisation.
Aujourd’hui, l’accent est souvent sur le visuel plus que sur l’écoute qui permettrait de décrypter beaucoup d’enjeux vitaux. L’image est au cœur de notre époque, et les injonctions que l’image induit sous de multiples formes invite à avoir des « perspectives ». S’agit-il de rester des « spectateurs » conditionnés par l’image, formatés par ce qui se voit ?
Pour s’affranchir de nouvelles tutelles culturelles, l’écoute se révèle indispensable en spiritualité mais aussi dans la relation humaine, c’est le sens de l’ouverture à l’autre. Tout ne se résume pas à des profils extérieurs circonscris dans le visible et que l’IA multipliera à volonté. Entendre les paroles de Dieu, entendre les paroles humaines, c’est un chemin d’humanité qui évitera de sacraliser ce qui ne le mérite pas !
« Voici que je mets devant toi la vie et la mort, le bonheur et le malheur…choisis donc la vie pour que tu vives ! » (Dt 30,15)
C’est dans cette écoute fondamentale et fondatrice qu’Israël a acquis la sagesse. Beaucoup de sages et de rabbins ont médité sur cette expérience de vie au cours des âges. L’écoute attentive de la Parole de vie est la clé de l’accomplissement humain. Un adage yiddish nous dit que la pire surdité n’est pas celle qu’on pense, c’est celle de celui qui refuse d’écouter : « siz nishta keyn ergere toyb vi eyner vas vil nisht hern ! »
Depuis Abraham, Dieu appelle à la sanctification, qui se traduit dans le culte et dans l’éthique. Les disciples de Jésus ont compris le sens de cette écoute vitale, vécue par leurs prédécesseurs dans la foi au Dieu unique. En affirmant « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » l’évangile de Jean résume bien le rôle prioritaire de l’écoute, en conclusion de l’épisode de la voix céleste, lors du baptême de Jésus et au moment de la transfiguration en lien avec Moïse et Elie : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le ! ».
On comprend pourquoi le pape Jean Paul II n’hésitait pas à dire : « Qui rencontre Jésus Christ rencontre le judaîsme ! ».
avec l’aimable autorisation de Dreuz.info.
Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, membre de la Commission judéo-catholique de la conférence des Évêques Suisses et de la Fédération Suisse des Communautés Israélites, Membre de la JRJK, Commission de dialogue judéo-catholique (conférence des évêques suisses et fédération des communautés israélites suisses).