ET POURTANT ELLE S’APPELLE MARINE…

Publié le par Patrick ROBERT

ET POURTANT ELLE S’APPELLE MARINE…

Le Rassemblement National (RN) a, certes, le vent en poupe. Ce n’est pas une raison pour faire d’énormes bêtises, inquiétantes sur sa réelle capacité à gérer le pays...

Le 26 octobre dernier, l’Assemblée Nationale a voté un amendement proposé par le RN visant à supprimer la « niche fiscale » dont bénéficient les armateurs en France, avec des conditions d’application très strictes.

Sans trop entrer dans les détails, les armateurs peuvent opter sur une taxe sur le tonnage de leurs navires sous pavillon Français qui les exonère de l’impôt sur les sociétés.

Cette taxe de substitution a été créée par l’Italie et le Danemark au début des années 2000 pour rendre les armements plus concurrentiels. Rappelons, au passage, que le premier armateur mondial de conteneurs, MSC, est Italien, le deuxième Danois (Maersk) et le troisième Français (CMA CGM).

Le RN range ce système dérogatoire parmi les ‘‘niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes’’ et propose de l’abroger.

Balayons d’un revers de main la notion « polluante » en citant simplement 3 chiffres : Le transport maritime de marchandises émet 3 grammes de CO2 par tonne kilomètre (c’est-à-dire le transport d’une tonne de marchandises sur 1 kilomètre), 10 fois moins que le transport fluvial (10 g/t-km) et 30 fois moins que le transport routier (30 g/t-km), sans même parler du transport aérien. Le transport maritime ne représente que 2,5% des émissions mondiales de CO2 !

L’argument est donc dénué de tout fondement.

Inefficace et injuste ? Arguments là aussi fallacieux quand on sait que 86% de la flotte mondiale de la marine marchande bénéficie de ce régime, qu’il est appliqué dans 22 pays de l’union douanière européenne et a des équivalents aux Etats-Unis et à Singapour.

Au surplus, la contrainte de pavillon (donc de nationalité) et la nécessité de réaliser 75% de son chiffre d’affaires par l’exploitation des navires empêchent toute délocalisation, sinon le régime dérogatoire ne peut plus s’appliquer.

Pour plus de détails sur cette taxe adoptée en France depuis 2004, voir Taxe au tonnage | Registre international français (RIF)

Il est vrai que les armateurs ont fait de très gros bénéfices en 2022 et 2023 (3,6 milliards de dollars pour CMA/CGM en 2023), mais c’est un secteur d’activité extrêmement volatile où les profits peuvent être élevés, tout comme les pertes !

Un navire sous-exploité sera toujours taxé au tonnage, même s’il n’y a pas de recette en contrepartie, ce n’est pas sorcier à comprendre !

Pour illustrer cette volatilité, le prix moyen du transport d’un conteneur de 40 pieds (le standard) sur les principales routes maritimes (Asie/Europe, Asie/Etats-Unis) était de 1500$ avant la crise covid, en 2021 ce même prix est monté à 11000$, avant de retrouver un niveau normal en 2022/2023 et de regrimper encore en cette fin d’année à 5000$ en raison des troubles en mer rouge et des élections américaines (les EU surstockent en produits Chinois pour pallier l’augmentation inévitable des droits de douane à l’importation).

Attardons nous un instant sur le cas CMA CGM.

En 2023, cette entreprise Marseillaise fondée par un Libanais en 1978, Jacques Saadé, a réalisé un chiffre d’affaires de 47 milliards de dollars, en baisse de 37% par rapport à 2022, année exceptionnelle. Son résultat net a été de 3,6 milliards de dollars.

CMA CGM est le 3ème armateur mondial, le siège Marseillais (dans la tour CMA CGM) gère 160.000 collaborateurs dans 160 pays. 2.900 personnes travaillent dans la tour CMA CGM à Marseille. Selon une étude récente un emploi direct de CMA CGM génère 3,9 emplois dans le reste de l’économie Française.

Au 1er janvier 2024, CMA CGM avait une flotte de 624 porte-conteneurs et en avait 110 en commande.

L’actionnaire principal de CMA CGM est la famille Saadé par l’intermédiaire d’une holding  du nom de MERITFRANCE, c’est donc un capitalisme familial « à l’ancienne ».

Que fait CMA CGM de tout cet argent ?

Beaucoup d’investissements !

Citons le logisticien CEVA, entreprise de logistique, que CMA CGM a relancé pour en faire aujourd’hui le 4ème logisticien mondial et dont le siège social a été transféré de Suisse en France.

Bolloré Logistics racheté cette année pour 5 milliards d’euros

Achat de Gefco, de La Meridionale, prise de participations dans le futur terminal de Nador en partenariat avec une entreprise marocaine…

Le groupe a diversifié ses activités en se lançant dans le fret aérien par le biais d’une filiale qui gère actuellement 5 boeings cargo.

Achat du journal « La Tribune », de BFMTV et RMC.

Cette liste est loin d’être exhaustive.

En bref, la belle « success story » d’une entreprise Française, avouons que c’est rare !

Il faut savoir aussi que le changement de pavillon d’un navire (et donc la délocalisation de l’activité) peut se faire en 2 heures, ce n’est pas comme délocaliser une usine !

La taxe sur le tonnage a été maintenue, la contrepartie, c’est que CMA CGM a, sur le principe, accepté une « contribution exceptionnelle » de 500 millions d’euros en 2025 et 300 millions en 2026.

Que penser d’une telle proposition du RN ?

D’abord une méconnaissance crasse du secteur d’activité. Le transport maritime est un secteur nécessairement mondial à concurrence farouche où il importe de pouvoir lutter à armes égales avec ses confrères.

Une légèreté blâmable sur les conséquences d’une telle proposition, d’ailleurs soutenue par LFI !

Mais peut-être aussi des arrière-pensées purement idéologiques de la part du RN. Le patron de CMA CGM, Rodolphe Saadé, est très proche de Macron et le Secrétaire Général de l’Elysée, Alexis Kohler, a des liens familiaux avec la famille Aponte, propriétaire de MSC, bref de la « poloche » de bas étage.

Il est clair, en tout cas, que cette proposition du RN, qui hurle haut et fort qu’il faut cesser les délocalisations, aurait pu être très lourde de conséquences pour l’économie Française, ou ce qu’il en reste, et illustre la terrible méconnaissance des dossiers par le RN, voire une inquiétante absence de travail.

Le transport maritime représente 80% des échanges mondiaux. Avec CMA CGM, la France (deuxième façade maritime du monde) dispose d’une pépite qu’il serait bien dommage de menacer.

Et, croyez-moi, dans le shipping tout peut aller très vite  et il n’est pas très difficile de localiser les profits là où l’on veut pour échapper à l’impôt en toute légalité.

CMA CGM joue le jeu Franco-Français d’un capitalisme familial et vertueux comme au bon vieux temps, et le RN voudrait mettre cette entreprise en danger ?

C’est, comme l’on dit, du grand n’importe quoi et c’est très anxiogène.

UN PRÉSIDENT AUX ANGES !  

Patrick ROBERT

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