LA RÉFORME DU SALARIAT ET LA PAUPÉRISATION DES RETRAITES

Publié le par Gérard Bad

LA RÉFORME DU SALARIAT ET LA PAUPÉRISATION DES RETRAITES

DISSOLUTION DU SALARIAT !!!

C’est presque une tradition en France, quand les vacances arrivent (scolaires et congés payés), les luttes sociales s’arrêtent. La lutte contre la loi El Khomri n’a pas contrarié cette règle, les couteaux ont été rengainés avec la promesse que le combat reprendra à la rentrée…

La loi El Khomri tout comme le rapport Badinter ne visent pas que la hiérarchisation des textes de loi, ils mettent un coin dans la notion même du salariat. Ceci est à rattacher à la multitude de contrats de travail précaires allant jusqu’au contrat zéro heure, à la dislocation de la vie privée et de la vie au travail, et du marketing de la cocréation, du fait des nouvelles technologies.

Dés l’an 2000, dans une brochure La Sphère de circulation du capital (publiée par Echanges) j’avais alerté les lecteurs sur une tendance visant à faire travailler le consommateur : « La société self-service a le pouvoir de déguiser la soumission, l’exploitation et même la servitude en liberté. Le libre-service, ce système a, à première vue, un immense avantage, il supprime les domestiques (illustration le poinçonneur des Lilas). Plus besoin de serveurs, de vendeurs, de contrôleurs. Le problème (sans charges sociales) est reporté sur le consommateur qui devient un domestique, “libre” et “payant” qui va effectuer un travail non payé et qu’il devra même payer, puisqu’il paie l’accès à Internet… Nous devenons des serveurs, des vendeurs, des banquiers, des assureurs, des pompistes, des poinçonneurs, des téléphonistes, des portiers, des assembleurs kit, des hôteliers… plus le travail devient simple, plus il est possible de l’externaliser sur l’utilisateur. »

Depuis, comme le dénonce si bien Marie-Anne Dujarier dans son livre Le travail du consommateur [1]) il est parfaitement clair que l’exploitation du consommateur est dorénavant intégrée dans la stratégie des entreprises sous le vocable de “cocréation”.

La loi El Khomri est le résultat d’un long “détricotage” du droit du travail de la période dite keynésienne, comme nous aurons l’occasion de le démontrer ultérieurement. En cela les nouvelles technologies n’ont fait que favoriser ce détricotage qui remonte aux années 1990 avec la liquidation des anciennes conventions collectives basées sur le métier. Après la liquidation du classement de 1945 dit Parodi (manœuvres, OS, OP), les nouvelles conventions collectives se baseront sur un classement par fonction aux frontières aléatoires.

L’informatisation de la société a bien entendu bouleversé le système catégoriel des métiers et même fait une intrusion dans la sphère privée. Gérard Filoche dans ses textes l’explique très bien ([2]). Il y a donc dialectiquement interpénétration des sphères privée et publique.

Ce qui fait dire à Philippe Lemoine dans son rapport ([3]) : « Avec le numérique, de nouveaux emplois apparaissent et, plus profondément, la notion même d’emploi se transforme. On peut aujourd’hui être tour à tour entrepreneur, salarié, expert indépendant, étudiant, etc. Mieux : on peut occuper simultanément plusieurs de ces statuts. »

Voilà qui a le mérite d’être clair, et nous fait comprendre que la dislocation du salariat (sa précarisation) est à l’ordre du jour du capital. Comme le faisait remarquer Gérard Filoche sur le rapport Badinter : « On caractérisera le rapport comme une tentative pour en finir avec un Code du travail spécifique et le remplacer par un mixte avec le Code civil, où les contrats commerciaux et les statuts d’indépendants sont mis sur le même plan que l’ex-contrat de travail. La “personne” remplace le salarié. Le salarié est traité comme l’indépendant. Uber peut s’y retrouver, Attali et Macron sont passés par là. »(Analyse détaillée des 61 mesures du rapport Badinter)

La revue Temps Critiques va elle aussi dénoncer cette évolution vers un droit à la personne, que l’on nous avait déjà servi avec la formation tout au long de la vie et la sécurité sociale professionnelle : « le Code du travail doit évoluer vers un code de la personne au travail, ce dernier étant conçu non plus comme travail productif ou même déterminé, mais comme un travail-fonction « au service » de la société tout au long de la vie… Le programme de la CFDT en quelque sorte ! » (Temps Critiques-Projet de loi-travail et convergence des luttes: un malentendu ?)

Ceci est à mettre en relation avec les propositions de revenu universel et retraite universelle visant à paupériser un peu plus le monde du travail.

PAUPÉRISATION CROISSANTE DES RETRAITÉS

Nous savons tous maintenant que les systèmes de retraites de l’Etat dit providence sont systématiquement liquidés, voir pillés purement et simplement par la dette (voir la CRDS gérée par la CADES) un produit financier exemplaire. A ce titre le « trou de la sécu » est un véritable tonneau des Danaïdes, un panier percé qu’il faut alimenter sans cesse. Pour alimenter le « tonneau » il faut empêcher qu’il se vide trop rapidement, et que la duperie devienne trop visible. Les réformes des retraites sont faites dans ce sens, allongement du temps au travail pour toucher sa retraite, et non indexation sur les prix ([4]) depuis avril 2013 et passage à la CSG de 3,8% à 6,6%.

En période de propagande électorale, la promesse avait été faite que le gel de l’indexation serait aboli en octobre 2016. Mais voilà que la presse nous informe que le dégel n’est pas pour demain et que la précarisation-paupérisation des retraités va se poursuivre.

LA RÉFORME DU SALARIAT ET LA PAUPÉRISATION DES RETRAITES

Comme l’inflation officielle entre mai 2015 et avril 2016 est négative (–0,2%), il coule donc de source que l’indexation sera de zéro. A cela s’ajoute, il ne faut pas l’oublier, un accord signé le 30 octobre 2015 entre le Medef, la CGPME, l’Union professionnelle artisanale (UPA) d’une part et la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC d’autre part. Accord aboutissant à assurer la pérennité de la paupérisation des retraités ([5]).

Que propose cet accord ? ([6]) Il se présente comme le jeu de l’oie, ou plutôt celui du pigeon, avec un système de « bonus malus » qui vise à river les retraités au boulot comme Prométhée à son rocher.

Pour la génération née en 1957, un « coefficient de solidarité », c’est-à-dire une ponction sur la pension, sera prélevée à la hauteur de 10 % pendant trois ans. Autrement dit, une personne ayant 62 ans, remplissant toutes les conditions pour prendre sa retraite, pourra le faire, mais elle subira le malus de 10% pendant trois ans, c’ est à dire jusqu’à 65 ans (où est donc passée l’AGFF ? [[7]]). Pour ceux qui veulent partir à taux plein à 63 et 64 ans le mécanisme va jouer avec un décalage respectivement jusqu’à 66 ans et 67 ans. L’insécurité sociale, voilà l’état d’urgence pour le précariat qui touche un nombre croissant de prolétaires, il n’y a rien à espérer de ce monde.

Gérard Bad

Spartacus

LA RÉFORME DU SALARIAT ET LA PAUPÉRISATION DES RETRAITES

NOTES

([1]) Le Travail du consommateur. De McDo à e-Bay, comment nous coproduisons ce que nous achetons, La Découverte-Poche, 2014

([2]) Gérard Filoche, né le 22 décembre 1945 à Rouen, est un ancien militant de la LCR, devenu inspecteur du travail. Il a publié de nombreux ouvrages sur Mai 68 et sur le droit du travail et contribue depuis quelques années à différents médias (L’Humanité, Mediapart…). Il est actuellement membre du Parti socialiste.

([3]) Rapport sur la « Transformation numérique de l’économie », remis en novembre 2014 par Philippe Lemoine, président du Forum d’action modernités et président de la Fondation internet nouvelle génération, aux ministres Emmanuel Macron (Economie, Industrie et Numérique), Marylise Lebranchu (Décentralisation et de la Fonction publique), Thierry Mandon (Réforme de l’Etat) et Axelle Lemaire (secrétaire d’Etat chargée du numérique).

([4]) Les revalorisations des retraites se faisaient avant la réforme de 1993 sur la base de la hausse des salaires (+1,8 %) cette année-là.

([5]) https://www.cfdt.fr/portail/theme/protection-sociale/retraites-complementaires-letexte-estfinalise-srv2_320292

([6]) https://www.cfdt.fr/portail/theme/retraites-complementaires/ce-qu-il-faut-retenir-de-l-accord-sur-les-retraites-complementaires-srv1_320510

([7]) AGFF, Association pour la gestion du Fonds de financement de l’Agirc et de l’Arrco http://www.agff-info.fr/

Publié dans LIBERTÉ D'EXPRESSION

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