LES NOUVEAUX ESCLAVAGISTES…
Quand je l’ai vu apparaître, grand, costaud, crâne rasé, la cinquantaine affirmée, vêtu d’une chemise Hawaïenne bleue du meilleur effet, je me suis dit « in petto » quel beau spécimen de « parvenu de la grande distribution » !
Nous étions, ma collaboratrice directe et moi, « convoqués » dans un magasin dit hard discount nouvellement ouvert dans une petite ville de Normandie.
Il s’agissait, dans notre naïf esprit, de présenter notre CFA, spécialisé exclusivement dans la préparation à 3 BTS en alternance, ces superbes diplômes qui ouvrent toutes les portes de poursuite des études et/ou permettent d’entrer dans la vie active avec un vrai bagage et un bon niveau de compétences.
Seulement voilà, pour bon nombre d’entreprises et, plus généralement, de branches d’activité, 2 années de formation in situ, c’est long.
C’est cela que notre ami Hawaïen et son épouse nous ont expliqué.
Notamment dans le secteur de la grande distribution, où les « gamins », issus le plus souvent de Bacs pros, en ont vite marre de pousser des rolls, de garnir des rayons de pâtes et, probablement, de se faire réprimander par le « chef de rayon », voire le tout puissant directeur (ou sa femme) en chemise hawaïenne !
Et ils veulent donc logiquement s’en aller, d’autant plus qu’il y a un fossé effrayant entre le niveau d’études normalement élevées en centres de formation et les jobs en magasin.
Ils ont tous tort puisqu’en un an, ils peuvent tout apprendre de la gestion d’un supermarché !
Pour résoudre ce problème de fond, les « branches » ont eu une idée de génie : Créer des CQP, des Certificats de Qualification Professionnelle. L’idée, c’était de former en un an des jeunes (ou des moins jeunes désireux de se reconvertir) à un métier bien précis.
Belle idée, au fond, pour permettre à celui ou celle qui en a marre de sa vie de cadre moyen à la Défense d’apprendre la poterie ou l’élevage des chèvres dans le Larzac.
Mais on a vite assisté à ces dérives si typiquement Françaises.
Et on propose aux jeunes bacheliers un an de formation en alternance rémunérée, sans aucune promesse d’embauche, avec remise d’un CQP, certificat qui n’est pas un diplôme !
Tout en leur faisant croire qu’il s’agit d’un « équivalent BTS » !
Tenez, il existe un CQP pour les notaires, enfin les offices notariales, qui côtoie les toiletteurs pour chiens !
Pour l’employeur, c’est tout bénéfice : Des salariés non pris en compte dans les effectifs, des salaires inférieurs au SMIC, quasiment pas de charges sociales, des subventions et aucun engagement au-delà d’un an !
Pour les « gamins » : avoir bossé un an pour des clopinettes et n’avoir aucun diplôme.
Pour les centres de formation qui acceptent cette supercherie, des rentrées substantielles puisque ces CQP peuvent être financés par les OPCO.
Songez un instant que les CFA spécialisés dans les BTS tertiaires en alternance doivent former en 2 ans avec uniquement 2 jours par semaine de cours théoriques, alors que d’autres étudiants le sont en continu.
Pensez-vous réaliste de former des professionnels en seulement un an, surtout au vu des niveaux de départ ?
Ces CQP sont une supercherie qui, malheureusement, a beaucoup de succès, notamment en e-learning.
Et c’est la négation même de l’alternance.
Et j’imagine que mon beau spécimen Hawaïen s’en est allé déjeuner dans son énorme 4x4 de marque germanique, tandis qu’une pauvre gamine visiblement fatiguée regagnait son domicile à pied…
Il est un peu loin de tout ce magasin.